lundi 30 décembre 2013

"Nous sommes toujours plus grands que ce que disent les livres"

Les livres pourraient-ils être vidés de toute littérature? 
Une analyse du roman de Cécile Coulon, Le Rire du grand blessé (2013), qui s'interroge sur ce qui pourrait advenir d'un monde où l'on ne saurait plus lire par soi même.


On ne sait pas où, ni quand. Ce qui est certain, c’est que le nouveau roman de Cécile Coulon, Le Rire du Grand Blessé, est une immersion de 130 pages dans un régime totalitaire, une société où règne une irréelle réalité.
Les premières pages nous plongent in medias res, dans un monde où la littérature est interdite, où la plupart des gens sont analphabètes. « Nous étions des chiffres, des performances ». Le personnage principal, c’est le numéro 1075, homme robuste, tout droit venu de la campagne, à la recherche d’une vie de rêve au Service National, où il occupe un poste d’Agent de sécurité. 1075 ne sait pas lire, et ne veut pas lire : sa fonction le lui interdit. 
Son rôle, c’est de surveiller ce que le système, dirigé par le Grand, a nommé les Manifestations à Haut Risque, rassemblements pendant lesquels ont lieu les  lectures à voix haute des livres officiels. Livres Fou Rire, Tendresse, Frisson, Haine, ils sont classés par « catégories émotionnelles » bien étanches, et leurs lectures publiques provoquent le déchaînement des foules, des crises d’hystérie déclenchées par des mots qui sont devenus des produits de consommation.
Au milieu de tout cela, 1075 reste imperturbable. Il sait faire face à n’importe quelle situation. Son but est d’être craint, respecté, reconnu comme l’un des meilleurs Agents, et rien ne semble pouvoir l’en empêcher. Et puis tout à coup, l’histoire de 1075 devient l’histoire de l’homme qui apprit à lire par accident. 

Mordu par un « molosse », chien de sécurité, il se retrouve à l’hôpital. Là-bas, dans un couloir sombre, il entend sans le vouloir une leçon de lecture. La réalité de la lecture nous apparaît clairement, à ce moment là du récit : une fois que l’on sait lire, tous les mots qui nous passent sous les yeux sont déchiffrés, inconsciemment, par notre cerveau. 1075 engage alors une lutte contre lui-même, tiraillé entre son devoir d’Agent et ses lectures clandestines. Il recherche la passion des sentiments qu'il n'a jamais connus. Mais ce qu'il attend de la lecture, les livres officiels ne pourront jamais le lui apporter, et l'acte de lire devient peu à peu, une fois l'excitation de l'interdit dépassée, une léthargie de sentiments, sans profondeurs, un cercle fermé dont on ne peut repousser les limites.

Le Rire du Grand Blessé, c’est aussi l’Histoire de la rencontre entre le Silence et la Lumière, brève et inoubliable. Lucie Nox est une femme brillante, une psychologue ultra-performante qui cerne les êtres dans leurs profondeurs, et qui a su autrefois guérir des patients grâce à un programme de lecture. Maintenant que la littérature est interdite, elle se retrouve prisonnière de ses propres méthodes, détournées par le gouvernement afin d’instaurer un contrôle total sur tous les Agents. Elle les a tous examinés, sauf un : 1075, le seul qui trompe le système sous les yeux du Grand. Leur rencontre amènera chez l’un et l’autre ce qu’aucun ne possédait avant : un objectif. Une existence.

Dans son livre, Cécile Coulon manie avec beaucoup de style le thème de la lecture. Selon elle, la littérature se rapproche du vital, de l’irremplaçable, et un homme à qui on interdit de lire n’en est plus un. Le Rire du Grand Blessé, c’est le rire d’une victoire au milieu de la défaite, le rire, à la fois plein de colère, de tristesse, et de joie, d’un homme qui brave tous les interdits dans le seul but de sortir de lui-même, de se regarder dans les yeux et enfin ! de se connaître, puis se reconnaître. Finalement, on découvre que 1075 est bien  plus qu’un chiffre ou une performance, et que derrière « le gilet par balle qui lui sert de cœur », il y a un homme, et un vrai. Et si le courage « consistait à ne pas céder à la violence au moment où on en éprouvait le plus besoin » ?
1075 ne le sait pas, mais ce qui manque à sa lecture, ce n'est rien d'autre qu'un peu de littérature. Et cette littérature, elle est incarnée par nulle autre que cette même Lucie Nox, qui transmettra à l'Agent quelques textes, en secret, dans lesquels "les émotions [font] l'amour, et qui vont faire "tomb[er] les barricades" d'un être vide.
Le Rire Du Grand Blessé est un roman qu’on ne lâche pas, un long poème en prose, qui a la goût délicieux d’une lecture sèche et mystérieuse.  

(Emilie Ch.)

mercredi 4 décembre 2013

Le héros, un homme parmi les hommes

Maylis de Kerangal, naissance d'une voix


Parmi les romans récents, il en est un qui a marqué particulièrement ceux qui l'ont lu  : Naissance d'un pont, pour lequel Maylis de Kerangal a reçu le prix Medicis en 2010.

Elle y décrit, par le menu et le titanesque, la formidable énergie qui pousse des hommes à créer un tel ouvrage (et un pont, techniquement parlant, cela s'appelle un ouvrage d'art), pour tenter une conciliation improbable entre deux espaces radicalement différents : une forêt archaïque et une ville ultra-moderne, high tech au possible,  sortie de nulle part et au nom qui fait clin d'œil à notre époque - Coca. 
Sans cesse, on oscille entre l'hyper-réalisme (comment faire un roman avec une liste de termes techniques? défi tenu) et le narratif épique (l'homme aux prises avec une ambition qui le dépasse et le grandit).
Le roman n'est rien d'autre que ça : cette aventure collective, dans laquelle s'engouffrent corps et âme des individus anonymes venus de tous horizons, de toutes professions, de toutes histoires personnelles, confondues. Et chacun va se découvrir héros, justement par cette confrontation à quelque chose qui le sort de lui-même pour que la naissance ait lieu. C'est de l'humain par-delà le béton. La vie, quoi.

Je vous propose d'aller d'abord écouter l'interview menée à la librairie La Galerne (Le Havre), où Maylis de Kerangal présente son projet en insistant sur les points essentiels : ·       Maylis de Kerangal présente son livre

Elle revient sur le titre, sur ce qui a déclenché l'écriture, sur la dimension épique de ce roman hyperréaliste. Surtout : sur la double focale qu'elle adopte, tantôt panoramique (l'épopée collective) tantôt "moléculaire", pour reprendre ses mots (le menu détail par lequel on saisit que derrière chaque anonyme, il y a une histoire, une vie digne d'un roman).

photo empruntée au site le Café littéraire Luxovien
Ensuite, puisque l'auteur est généreuse dans les rencontres qu'elle accepte de faire avec son public, et que la toile nous permet de relayer ces moments de partage entre un auteur et son lecteur, voici :
    •  l'adresse du Café Littéraire Luxovien (un site littéraire très bien fait), qui dresse un bilan de son parcours, à l'occasion de sa venue à la médiathèque de Champagney en 2009 : Bio-biblio de Maylis de KerangalVous y découvrirez un peu de sa méthode de travail, de son rapport aux autres, aussi.
  • une petite vidéo, qui ouvrait, en 2010, un documentaire que le site Rue 89 lui a consacré, et qui lui donne l'occasion de lire un extrait de son roman (le début): vous pourrez donc entendre de vive voix, par delà les bruits de la rue, l'auteur qui devient son propre lecteur :    Lecture du début de Naissance d'un pont

Pour ceux qui voudraient pousser un peu plus loin la rencontre, je conseille d'aller écouter l'auteur dans un entretien libre, donné pour Mediapart : Maylis de Kerangal parlant de Naissance d'un pont Vous y trouverez des informations précieuses sur son rapport à Diderot, sur le choix des noms de certains personnages, sur ses sources d'inspiration et sa méthode de travail. "ça sonnait l'Amérique", dit-elle de ce roman en forme de western des temps modernes. 

On peut être décontenancé par le flux, le rythme de sa parole : souvent, c'est même la première réaction des élèves. Mais ceux qui ont déjà lu Corniche Kennedy le savent : on entre pleinement dans le texte, comme on plonge dans la mer, sans se demander où est le début, où commence la fin. On oublie qu'on peut s'y perdre, on se laisse porter, voilà tout. Et quand on lâche prise, sans plus craindre les longues phrases, les cris vivants, les changements de voix qui s'entremêlent, on s'aperçoit qu'on garde la tête hors de l'eau, facile. 

(B.H.)

vendredi 29 novembre 2013

« L’écriture, c’est l’inconnu. Avant d’écrire on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité. »

"Ecrire, c'est l'inconnu qu'on porte en soi."
 (Marguerite Duras, Ecrire)


J'ai choisi de donner l'occasion aux élèves de première L2, dans un cours de novembre, de goûter un peu au rythme, aux silences, aux mots de Marguerite Duras, à travers la lecture du début du Vice-Consul. Je vous propose de rencontrer cet écrivain, en grappillant, à votre convenance, des enregistrements audio ou vidéo qui nous permettent de retrouver le visage, la voix, le regard de cet auteur. Et surtout : de réactualiser, de vive voix, l’un de ses textes. 



Il y a d’abord, donc, un extrait audio d’Ecrire, le texte que Duras a rédigé en 1993, dans lequel elle se confie sur ce qu’elle a de plus intime, de viscéral : son rapport à l’écriture. Il est lu avec sobriété et force par la comédienne Audrey Bonnet.
Au cours de cette émission, la jeune femme discute avec Marie Richeux (l'animatrice de l'émission) des raisons de son attachement à cette façon qu’a Duras de définir la création. Librement, elle en vient à parler de son art (le théâtre), mais aussi la création en général et même : la vie de l'homme, dans son corps, ses luttes. C’est très riche (et pas long du tout : 9 minutes...)
voici le lien, donc : sur France Culture, dans une émission intitulée  « Je déballe ma bibliothèque », de 2012 : Extrait audio d'Ecrire, de M. Duras


Il y a ensuite deux archives de l’INA dont nous avons vu une partie en cours : mais  même les courts extraits gratuits, de présentation, suffiront à vous restituer la présence, les silences de cette grande dame de la littérature :
Il y a, pour se mettre dans l'atmosphère du Vice-Consul, la musique créée par Carlos D'Alessio, pour le film India Song, que réalisera Duras à partir de la pièce de théâtre du même nom, et qui clôt le cycle indien de l'auteur ... C'est cette fameuse musique qui est au cœur du livre, qui hante le Vice-consul. Vous pouvez l'écouter ici : Carlos d'Alessio, India Song


 Et pour ceux qui voudraient poursuivre l'aventure, je signale également : 
  • l'existence du texte Ecrire en collection folio (Gallimard) ...
  • la parution, il y a un peu plus d'une semaine, d'un très beau livre sur l'auteur, aux éditions Flammarion (photos, reproduction de pages de ses manuscrits, textes annotés, et bien sûr, texte biographique de Laure Adler et Delphine Poplin) :  DurasVous trouverez les références de cette biographie (qui vaut notamment par la richesse de ses images d'archives, Laure Adler ayant, par ailleurs, déjà publié une biographie importante sur l'écrivain, il y a quelques années) sur le site de l'éditeur : biographie de Duras, Flammarion

Voilà. 
Les grands auteurs ont la voix toujours vive : la nôtre, chaque fois que nous les lisons.

(B.H.)

dimanche 24 novembre 2013

"Chaque jour je me construis totalement, puis me détruis..."

Perturbation, au théâtre L'apostrophe de Pontoise 
22 novembre 2013
Texte de Thomas Bernhard, adaptation de Krystian Lupa.


Adaptée d’un roman du célèbre Thomas Bernhard par Krystian Lupa, Perturbation est une pièce au jeu sublime et au texte littéralement génial.
On hésite dans cette pièce. On hésite entre sciences et littérature, entre folie et lucidité. Le sujet, si l’on veut en trouver un, est sans doute la condition humaine. Mais c’est surtout des éclats humains que l’on retient : de la musique avant toute chose, et puis une analyse du cerveau humain, des idées en suspension, des sentiments tabous tels que la cruauté, la jalousie, l’amour trop fort.
C’est l’histoire d’un médecin qui laisse son fils, étudiant, adolescent en construction, assister pour la première fois à ses visites quotidiennes. Immersion totale dans la vie de patients peu communs, la maladie, le désespoir, la mort sont au rendez-vous. Un certain apaisement se dégage parfois de personnages qui se pensent en voie de guérison, quelle qu’elle soit. D’autres suggèrent la terreur de se rendre compte à quel point l’on va mal. Les regards portés sur ces hommes et ces femmes que  seuls quelques lambeaux de passion raccrochent à la vie sont parfois tendres, parfois cruels.
Une des scènes les plus touchantes est celle d’une grande sœur, dont le frère est gravement atteint mentalement ; longtemps enfermé dans « la cage », comme elle le répète incessamment, il est couché, à proximité d’un violoncelle dont il ne peut plus jouer, dont il ne peut plus vivre. Peut-être, au cours de cette scène, on peut verser une larme, mais rapidement ; succédant à de longs moments de silence entre l’Homme et lui-même, certaines scènes, violentes ou bien trop pleines de sens nous retiennent à bord. C’est ainsi que pendant plus de quatre heures, nous nous sentons impliqués, comme les étranges témoins d’une réalité dont nous ne parlons pas, mais à laquelle nous pensons, et qui quelque part nous fascine.  

« Mais il arrive que les gens trouvent, alors que moi j’éclate de rire, qu’il n’y a absolument pas de quoi rire ! ». Cette phrase décrit l’humour, tantôt pesant, tantôt léger de Perturbation ; et pour cause, ce n’est nul autre que son auteur qui l’a dite ! Cet humour à double tranchant, c’est sans doute le personnage du Prince qui le reflète le mieux : son apparition débute par une phrase ; une phrase de dix minutes, sans interruption. Par le biais de mots savants, inventés ou bien familiers, il nous décrit, comme tous les autres, une folie, à la différence près que cette folie, il ne la ressent pas, il ne la perçoit pas, et pourtant il la fabrique.  Mais si son personnage est particulièrement important, c’est aussi parce qu’il nous transmet un aspect de la pièce qui n’apparaît qu’à la fin. Subtilement, il entre en contact avec le spectateur, lui adresse un mot, puis deux, puis une réflexion entière, en l’occurrence une réflexion sur le théâtre. L’auteur nous apparaît alors, au travers de quelques rires dans le public, au moment où, justement, il ne faudrait pas rire.

"Les maladies sont le plus court chemin de l'homme pour arriver à soi"

Dans la construction de la pièce, quelques voix off, quelques perspectives scéniques marquent le début, puis s’essoufflent. Finalement, nous restons sur le propos et le jeu époustouflant des comédiens, sur cette folie à laquelle on s’attache, dans laquelle on s’oublie, le temps d’une pièce. On retient quelques noms, et le visage du fils, et l’expression du père, le père qui constitue tout au long de la pièce le témoin, le confident, le récepteur de sentiments déchiquetés, de philosophies troublantes ou d’incompréhensions fascinantes.
La question de l’Homme se trouve sans cesse retournée, déchiffrée, presque torturée, mais finalement sans but précis, si ce n’est de nous montrer une version dénudée de la réalité.
Prodigieusement perturbant.

(Emilie Ch.)

samedi 23 novembre 2013

Et si on parlait d'un Peplum du futur ?

Une lecture de Peplum, roman d'Amélie Nothomb

Vous connaissez sûrement Stupeur et Tremblement d'Amélie Nothomb, grande auteure contemporaine, mais connaissez-vous d'autres de ses œuvres ? Je vais vous parler de Peplum, écrit en 1996. Même si certains pensent que ce n’est pas son meilleur, je le trouve très bien fichu, moi, ce petit roman d’anticipation, et l’immodestie de son auteure ne me gêne pas, je trouve que c’est un jeu qui fait partie du personnage (puisque, comme dans d’autres de ces livres, elle se met en scène dans l’histoire).

Synopsis : Amélie Nothomb s'endort lors d'une opération médicale. A son réveil, elle rencontre alors Celsius, un scientifique énigmatique qui lui explique qu’entre son opération et son réveil, 585 années se sont déroulées ; nous sommes donc en 2580. On assiste alors à un dialogue entre Celsius et Amélie sur les événements qui se sont produits depuis 1995.

Particularité de ce livre : ce qui surprend, dès la première page, c’est que c'est un livre entièrement rédigé en dialogues, quelquefois entrecoupés de très rares phrases narratives. Les personnages ne sont pas indiqués au début d'une réplique comme dans une pièce de théâtre, ce qui m'a perdue plusieurs fois dans le livre (ou mieux : au cours de ma lecture ?). Au fil de l'histoire, on apprend à connaître les deux personnages et l'identification devient plus facile. Ensuite, je dirais que ce livre est un concentré de réflexions sur l'éventualité du futur. Amélie et Celsius traitent de sujets divers tels que la politique, la littérature, la chaîne alimentaire animalière, ou même les produits laitiers d'une façon très sérieuse, mais toujours dans le sarcasme si caractéristique à Amélie Nothomb.

Mon avis : Je trouve ce livre très intéressant, Amélie Nothomb a une façon de parler de la fatalité avec un comique déconcertant, les petites querelles des personnages m'ont fait sourire et m'ont emmenée sans m'en rendre compte sur des sujets auxquels jamais je n’aurais pensé seule (comme la loi du temps et ses propriétés). Elle nous propose sa version de l'humanité future, à une époque où régnera l'intelligence et l’ego de soi, une sorte de régression où les faibles sont littéralement écrasés par les plus forts. Le rythme très rapide qui jamais ne s'arrête est poignant et rend facile la lecture. Je vous recommande donc  fortement ce petit livre qui est un concentré d'humour et d'hypothèses toujours plus farfelues, qui, à mon goût, devrait être plus connu !

(Coline)





dimanche 17 novembre 2013

Caubet nous livre son OEDIPE : bilan contrasté

Oedipe roi.
On ne connaît que trop ce nom et cette histoire. Cet homme qui tua son père et épousa sa mère, à qui il fit des enfants... 
On m'en avait très souvent parlé, en bien. Je m'amusais intérieurement en observant les réactions des novices du théâtre antique en classe : ces "Oh !" et ces "Ha !" d'étonnement qui rythmaient les paroles du professeur décrivant le destin de cet homme maudit. Œdipe n'en finit pas de découvrir son parricide et son inceste sous les yeux stupéfaits des élèves.
Une véritable enquête policière menée en deux heures, sans temps mort. Moi-même, cet été, lorsque j'ai pris la décision de lire la pièce de Sophocle, j'ai été ébahi par la beauté du texte et les faits horribles qu'il relatait.
C'est donc avec enthousiasme que je me suis rendu à L'Apostrophe (théâtre de Pontoise), pour y voir la création que livrait Antoine Caubet de la pièce, dans sa propre traduction. ( Il joue également : il incarne Créon ). Mais j'en suis sorti profondément sceptique. Je savais que j'avais assisté à un spectacle fondamentalement bon, mais certains choix de jeu et de direction m'ont laissé de marbre. 
Ce qui m'a déplu, presque choqué tout d'abord, c'est l'utilisation d'un objet anti-théâtral par excellence : le micro ! Dans une pièce qui se veut un absolu de théâtre, comment peut-on laisser un artifice pareil s'immiscer sur scène? Pourtant, je le reconnais, le choix de Caubet n'est pas gratuit. Il me semble transposer de manière actuelle ( et juste ) les "entr'actes" du Chœur antique, récapitulant ce qui vient de se passer dans la scène précédente.  Mais ce choix crée un trop grand contraste avec le reste, qui se veut intimiste et sobre. Surtout que les deux comédiennes tenant ( entre autres ) le rôle du Chœur, se mettaient à ces moments-là, à gesticuler comme deux sorcières en transe... Dommage, vraiment. Car leurs gesticulations et voix fluctuantes dénaturaient le texte, voire le rendaient incompréhensible et, horreur, suscitait presque le rire, en pleine tragédie. 

Reconnaissons-le : la mise en scène de Caubet se veut sincèrement respectueuse des représentations antiques ( la nouvelle traduction aussi ), dès le début, on nous le dit  par une ouverture qui joue le jeu, en pleine lumière, à vue : on ne sait pas grand chose de comment s'effectuait les premières représentations, mais ce que l'on sait, on l'a respecté. 
C’est ce qu’une comédienne explique, alors que les spectateurs sont tout juste installés dans la salle, que la lumière n’est pas encore éteinte. On entre progressivement dans le temps de l’histoire. Le décor est en bois. Il y a des échafaudages, des escaliers et ce qui ressemble non pas à un amphithéâtre mais à la continuité de la salle où nous sommes assis, nous autres spectateurs. Les comédiens s'adressaient à nous, non pas en hurlant mais en parlant. Parfois, ils murmuraient. Je pense notamment à la scène où Tirésias confie à Oedipe que le coupable qu'il cherche n'est autre que lui-même.  Les longs silences, le regard ailleurs, l'élocution murmurante du comédien étaient d'une grande justesse. 
Quant aux comédiens, leur jeu était des plus contrasté. Pour moi, Oedipe était honnête, sans plus. A l'instar du Chœur, son jeu hyper-souligné parfois, notamment à la fin – ses excès de colère puis de joie sonnaient parfois faux - rompait l’illusion, le charme qu’il réussissait à créer par moments. Jocaste décontenançait, son jeu gâché par sa voix de fumeuse... Ce n'est pas tant la distribution qui n'allait pas que les consignes de jeu voulues par Caubet, trop contrastées à mon goût. Son interprétation de Créon était convaincante. Mais la petitesse de son rôle comparée à l'ampleur musicale de sa voix créait un contraste de plus.  
Enfin, le point très positif : l'éclairage. Les corps étaient mis en valeur, les visages torturés par le doute et la peur de l'inimaginable, de l'inconcevable étaient éclairés brutalement ( lumières nues, par en dessous ou sur le côté, effets de volume ), mais ils n'en ressortaient que plus humains ( tout particulièrement dans le monologue de fin d'Oedipe ). 
  Le spectacle était donc appréciable, mais trop contrasté pour être inoubliable, à mes yeux du moins.
Pour ceux qui sont intéressés, le spectacle se joue jusqu'au 15 décembre au Théâtre de l'Aquarium à Paris.
Cliquez ici pour plus d'infos:  OEDIPE-ROI à l'Aquarium

(Louis).