Quand la poésie met le fantastique à la question ...
L'horreur
me fascine.
Au
début de l'année scolaire, je cherchais un livre capable d'assouvir ma soif
d'horreur. Je ne voulais pas de l'horreur gratuite, de celle qui
fait étalage
de tripes et autres confiseries morbides, de celle qui cherche à produire des
sensations fortes, aussi vaines que rapides. Je ne voulais pas consommer du
sang, je ne cherchais pas la vulgarité livide de l'horreur facile.
Je
voulais trouver un livre à l'horreur littéraire, qui puisse me tenir par mon
incompréhension. Car l'incompréhension est la source suprême de toute forme
d'horreur.
J'ai finalement trouvé un livre mystérieux, qui m'interpellait assez
étrangement, comme une sorte d'appel primitif, un instinct. Il s'agit de La Dame n°13 de José Carlos Somoza.
Le
départ est simple : un homme au chômage, anciennement professeur de littérature
et poète, fait le même rêve depuis quelque temps, un cauchemar à dire vrai. Il
assiste, passif, à une série de meurtres abominables, dans une maison
bourgeoise. Ce rêve l'obsède et le dérange, jusqu'au jour où il découvre qu'il
a effectivement eu lieu. Il décide de se rendre à l'emplacement du crime et
fait la rencontre d'une clandestine Hongroise devenue prostituée. Ils s'échangent
leurs rêves, réalisent qu’ils sont identiques et décident d'explorer cet
endroit presque familier. Là débute l'histoire terrible de deux personnages en
quête de réponses. Ils finiront par découvrir une secte datant de l'aube de
l'humanité, la secte des "dames" : des muses.
Ce
roman est envoûtant. On part du fantastique pour arriver au thriller
psychologique. Mais tout du long, l'auteur garde un souffle étonnamment littéraire,
porté par l'idée démentielle que la poésie est la plus raffinée des armes de
torture. On n’en attendait pas moins de la part d'un auteur psychiatre !
L'originalité déconcerte le lecteur, il se sent manipulé et par moment étouffe face
à la description troublante, subjuguante même de sévices monstrueux. Car le
roman est parfois très cru, à la limite du soutenable. Mais jamais il ne tombe
dans la gratuité ou le gore superflu : "tout est calculé".
Ce
qui fait la beauté du livre, en plus de sa résolue maîtrise narrative et
psychologique (peut-être un peu altérée par ce foisonnement de réponses aux énigmes),
c'est l'hommage tangible à la poésie et, plus encore, à la poésie lue. Un hymne
à la "formule qui perle". S'ajoute à cela une réflexion sous-jacente
sur la notion de hiérarchie, qui berce tout le livre et qui interroge d'autant
plus. On reprochera cependant l'accéléré final du temps narratif, qui enlève la
beauté de la tension. Mais l'œuvre de Somoza reste admirable et terriblement
marquante.
(*) La citation ("Vous qui entrez, abandonnez tout espoir...") est empruntée à Dante par Somoza, et résonne, tout au long du livre, comme un pacte avec le lecteur.
(Louis A.)