mercredi 30 septembre 2015

LES ACTUALISEURS EN VEILLE


La rentrée a maintenant eu lieu...


... et l'atelier des ActuaLiseurs n'a pas rouvert ses portes. Pour des raisons diverses, il s'offre une parenthèse d'un an, pour mieux renaître, nous l'espérons, l'année suivante. Ou plus exactement il se met en mode "veille" : peut-être que les anciens, à distance, proposeront quelques articles de ce qu'ils lisent, voient, écoutent, maintenant qu'ils sont "de l'autre côté" du bac, ou tout près de le traverser... 

Il y aura donc, ponctuellement, encore quelques articles, quelques pages "documentaires", sur les auteurs actuels, sur les rencontres intéressantes à provoquer (dans les musées, dans les livres, dans la rue...)

Et pendant ce temps de veille, nous nous donnerons la possibilité de  ré-envisager cet espace réel, ancré dans la fréquentation régulière, par un groupe d'élèves, d'un vrai atelier, au coeur du lycée Camille Claudel. Le groupe devrait être amené à grandir, et la configuration doit du coup s'adapter. Bref, c'est tout un chantier qui s'ouvre.

Les ActuaLiseurs n'ont pas disparu, donc. Ils préparent leur mue.
En attendant, ils opéreront de loin, en murmure continu, peut-être même régulier. Et bientôt ils reviendront, nous l'espérons, toujours avec la même envie : permettre aux jeunes lecteurs de s'intéresser à la littérature contemporaine, d'en devenir des passeurs - de nourrir et de diffuser leur appétit de lire, et propager le plaisir de le faire à pleine voix.

Merci aux structures (le lycée Camille Claudel, la ME-L*), qui nous ont permis de mener à bien ce projet. Merci aux auteurs qui ont bien voulu partager un peu de leur temps, de leurs lectures, de leurs secrets de fabrication. 
Et merci aux élèves qui ont participé à l'aventure pendant une, parfois deux années de suite. C'était une expérience riche, animée, vivante. Les souvenirs de ces temps de partages, des rencontres avec les écrivains, resteront vivaces, entre deux pages relues - car il ne faut pas se priver de relire. 

(*) la ME-L : Maison des Ecrivains et de la Littérature.


Béatrice H. Sylvie D.S.

vendredi 27 mars 2015

REGARDS CROISÉS, IMPRESSIONS DÉCOUSUES

Alain Blottière chez les ActuaLiseurs...

Nous avons eu l’honneur de recevoir aux ActuaLiseurs, mercredi 4 mars, Alain Blottière, écrivain du fameux Tombeau de Tommy et, plus récemment, de Rêveurs, roman pour lequel nous lui avions demandé de venir. Voici l'article commun que nous avons écrit, pour garder mémoire de ce très beau moment...



Après avoir échangé quelques regards autour d’une table garnie de boissons chaudes et petits gâteaux, l’écrivain a répondu à nos questions, expliqué sa méthode de travail.

Il voyage souvent et possède désormais un pied à terre en Egypte, où il aime se rendre plusieurs fois dans l’année. L’Egypte, comme une terre d’accueil à laquelle il revient souvent dans ses livres. Rêveurs en témoigne, qui croise les deux destins d’adolescents d’aujourd’hui que tout sépare, hormis cette capacité de rêver à un autre monde que celui qui les entoure.

Un personnage venu du réel
Pour son personnage de Goma, il s’est inspiré d’un véritable enfant qu’il a rencontré là-bas, il y a très longtemps. « Goma existe, il a maintenant une trentaine d’années, des enfants. Il vit toujours dans son quartier de Dar el-Salam ». Silence. D’un coup, nous imaginons le personnage sorti du livre, grandissant dans la réalité, vivant une vie d’homme en chair et os. C’est étrange, ce pouvoir de la littérature : pour nous, Goma sera irrémédiablement d’abord un personnage de papier. Savoir qu’il est en fait un exilé du monde réel auquel Blottière a façonné, dans son roman, une terre d’asile où caler son enfance pétrie de rêves et de luttes, c’est un réveil soudain dans la réalité concrète d’un écrivain. En phase avec ce qui l’entoure, Alain Blottière colle au réel, le transforme comme une matière à écrire. On est surpris. Ravis, comme d’avoir reçu une  confidence, un secret de fabrication qui nous rapproche encore plus de celui des personnages qui nous a tous émus.

Un écrivain lucide et sensible
Certains auteurs sont inconnus du grand public, pourtant un grand trésor se terre dans leurs œuvres. Une histoire, quand elle vous entraine tout en vous faisant regarder autrement le monde réel, ça n’a pas de prix. Alain Blottière est un écrivain lucide et sensible. Le réel, comme point de départ, l’entraîne vers deux destinées a priori antinomiques. Mais dans Rêveurs, il ne tombe pas dans l’auto-flagellation à l’européenne, avec sa fascination pour l’exotisme, son goût pour un Orient sacralisé, qui serait symbole d’une « humanité vraie ». Non, pas de procès, juste des constats traduits dans une prose accessible et pourtant très littéraire. Comme quoi.

Alain Blottière nous confie des anecdotes, sa façon simple d’écrire. On tombe des nues. A nous, élèves de première et terminale engraissés au mode opératoire obsessionnel d’un Flaubert estampillé bon pour le programme, il confie très simplement l’impensable : « je me relis peu, j’ai cette chance de ne pas trop raturer. J’écris vers l’écrit, sans faire de plan, je suis la musique, qui m’accompagne souvent ». Il avance à coup d’intuition, après avoir fait tout de même un travail de recherche poussé. Du coup, certaines scènes se révèlent à lui, après les avoir écrites. La transition en longue phrase à double face, façon ruban de Möbius, par exemple, elle lui est venue sans préméditation, comme ça.

Alain Blottière écrit avec son cœur et son corps. Il accompagne ses personnages par l’intérieur, sans tomber dans la psychologie asséchante. Il peut rester des mois, voire des années sans écrire, et saisit le moment où l’impulsion revient. L’influence de la réalité, le souvenir de petites scènes de vie, la trace de personnes vraies, le travail d’enquête, l’écrivain mêle tout cela, c’est un être de patience et de minutie, qui fait confiance aux signes qui, alors que la mécanique de création se met en branle, lui montrent qu’il est sur le chemin et qu’il ne s’égare pas.

"On n'oublie pas ses personnages".
Il laisse sortir de sa mémoire tous les livres qu’il fait sur commande, ceux qu’il fait pour vivre, puisqu’il est entendu que peu d’écrivains peuvent se nourrir rien que par le produit de leurs œuvres. Ceux-là, de livres, il les fait avec soin, mais les oublie très vite. Mais les siens, ceux qu’il écrit parce qu’une impulsion l’a poussé à les mener à bien, autour de personnages précis, il les garde en lui. Il reconnaît que, quand du temps a passé comme c’est le cas pour Rêveurs qu’il a écrit il y a trois ans déjà, il lui faut un petit effort pour pouvoir en parler, pour retrouver le cheminement du moment de son écriture. « Je l’ai relu dans le train qui me menait à vous ». Et l’on s’est étonné de ne voir dépasser aucun livre des poches de son grand manteau noir. Un écrivain, c’est un peu magique.



Il ressemble à ces écrivains silencieux, dont on s’accorde à dire que la simplicité est une grande part de leur talent. Dans Rêveurs, l’écriture se faufile d’un univers à un autre, aussi facilement qu’on tourne une page.

Un homme, un écrivain entre deux rives.
Sensible, évadé, sincère, Alain Blottière ressemble à son livre. D’ailleurs il partage son temps entre Paris et le Caire, comme dans Rêveurs. Il sait déplier les contrastes entre ces deux mondes, montre du doigt le fossé qui les sépare et plus encore, les fait se rencontrer. Goma est le double d’un enfant des rues qui a réellement existé, qui est grand maintenant, tandis que Nathan est un puzzle de plusieurs personnes. Leur rencontre, c’est l’imaginaire qui se mêle au réel et forme un tableau bluffant, comme cette phrase qui n’en fait qu’une et enjambe l’espace pour faire se rejoindre les deux univers : commencé du point de vue de Goma, elle se poursuit avec naturel dans le monde de Nathan et inversement. La première fois qu’on lit ces passages, on est impressionné. Après, on saisit le rôle de miroir qu’elle incarne, et le thème du double qu’elle renforce au sein du roman.

L’homme s’est dévoilé, mais pas trop. Naturellement, il a déroulé le fil de sa pratique. Ce mercredi 4 mars, il y avait l’homme et l’écrivain. Nous l’écoutions parler sans fausse pudeur, avec une simplicité réconfortante d’une voix chaude, posée. Ecrire, c’est un mélange d’intuition libre et de travail très précis. Une façon de ne jamais quitter le monde réel tout en optant pour sa marge – de là, on peut mieux voir. Et donner à voir. 

Alors pour le remercier, nous lui avons offert deux lectures de son roman : une à voix nue, menée par Emilie Ch.,  une autre par Elsa C., accompagnée par la musique de Louis. 

Merci à eux, Merci à M. Blottière. Voici sa page  Facebook, pour lire des avis de lecture, découvrir sa façon de nous faire voyager à travers des vidéos du monde et... écouter un aperçu de cette fin pleine de rêves, le 4 mars dernier : la page d'Alain Blottière

Alain Blottière, Le Tombeau de Tommy, éditions Gallimard (2009), collection folio (2011) - Rêveurs, éditions Gallimard (2012) - 
Alain Blottière et Denis Dailleux, Fils de roi, Portraits d'Egypte, éditions Gallimard (2008)

(Le groupe des ActuaLiseurs.)



lundi 19 janvier 2015

Camille, Camille, Camille... trois voix pour un seul destin

Camille, Camille, Camille
théâtre 95 (Cergy) octobre 2014
Texte de Sophie Jabès
Mise en scène de Marie Montegani

Camille, Camille, Camille… Comme Camille Claudel, sculptrice de génie, artiste torturée de la fin du 19ème siècle.  Camille Claudel, c’est aussi une femme, une vraie, qui réclame liberté et reconnaissance. Si Camille Claudel est restée jusqu’à aujourd’hui célèbre pour son œuvre, elle est aussi connue pour le mythe qui l’enferme : internée de force dans un asile par sa famille, Camille Claudel passera son temps à attendre que quelqu’un vienne la chercher, en vain.


Dans Camille, Camille, Camille, on plonge au cœur même de ce mythe : trois Camille, trois événements importants de la vie de Camille Claudel, trois voix aussi, qui nous racontent, tour à tour, quelles ont pu être les décisions, les hésitations, et les blessures de Camille Claudel. Le texte de Sophie Jabès a voulu se concentrer sur un élément en particulier qui aurait bouleversé le destin de Camille Claudel, et à plusieurs échelles : le rôle de Rodin. Si les trois âges représentés sur scène (la jeunesse, la maturité, et la vieillesse) nous sont tout de suite évidents, le rôle que Rodin y joue l’est également. La première Camille, jeune et naïve, sûre d’elle et impudente, est face à un choix qui semble décider du reste de sa vie. A l’époque où elle est l’élève de Rodin, elle en est aussi terriblement amoureuse, mais elle hésite : faut-il se donner à Rodin, toute entière, ou concentrer chacune de ses pensées dans son talent ? La deuxième Camille, plus tiraillée encore, est emplie d’une haine sans nom pour ce Rodin, qui l’a trahie, s’est servi d’elle, l’a abandonnée. Enfin, la troisième Camille a définitivement renoncé : enfermée et seule, le spectateur décèle en elle une forme de folie, ou d’irréalité. Ni ici, ni ailleurs, la Camille au seuil de sa mort pense à Rodin, le maudit. Elle attend Paul, le frère aimé : « Paul a dit qu’il viendrait », ne cesse-t-elle de répéter.
Et puis vient le moment dans la pièce, où ses trois femmes se rencontrent. La plus vieille devient alors « celle qui sait », tandis que les deux autres sont là pour lui demander conseil sur la décision à prendre : elles s’entendent dire toutes les deux que la solution la plus sûre, pour une Camille exténuée de vivre et d’attendre peut-être, est de partir, de quitter Rodin. Mais le passé restant le passé, ou le destin étant inévitable, aucune n’écoutera, et le mythe de Camille reprend sa forme réelle.


Dans cette pièce, beaucoup de poésie dans le texte, beaucoup de symboles également. La mise en scène de Marie Montegani est sobre, sans artifice. L’ambiance théâtrale a su plaire aux amateurs de théâtre traditionnel, sans micro : juste une scène, quelques éléments de décors, et trois comédiennes assez convaincantes dans leur facette respective du personnage de Camille Claudel. Pourtant, la modernité, sans envahir tout l’espace, est présente : un écran, dans le fond de la scène, fait apparaître à deux ou trois reprises l’image en noir et blanc d’une petite fille. Complètement en dehors de l’histoire réelle de la pièce, cette petite fille assez dérangeante joue le rôle du messager, annonceur de la mort du père de Camille, ainsi que de la propre mort de Camille Claudel, à la fin de la pièce, à laquelle Camille répondra que c’est plutôt « une très bonne nouvelle ».

L’artiste Camille Claudel, sculptrice, est un peu effacée, dans Camille, Camille, Camille, au profit de la femme, et son histoire avec Rodin. Mais son art est tout de même évoqué, comme quelque chose de brûlant, de vivant même. Si nous savons que Camille Claudel aurait voulu être un homme, elle n’en est pas moins une femme entière, orgueilleuse et ambitieuse, et c’est cette image là que l’on préfère garder d’elle, dédramatisant ce tragique enfermement qui a interrompu sa vie, interrompu son art.  La pièce se termine par l’énumération de ses œuvres : La Valse, Sakuntala, L’âge mûr… autant d’œuvres qui font le génie et la puissance de Camille Claudel. Heureuse de bientôt retrouver son frère Paul, Camille Claudel semble libre, lorsqu’à l’heure de sa mort, pensant à son art sans doute, elle dit : « Et dire que c’est moi qui ai fait tout ça ».

(Emilie Ch.)