lundi 19 janvier 2015

Camille, Camille, Camille... trois voix pour un seul destin

Camille, Camille, Camille
théâtre 95 (Cergy) octobre 2014
Texte de Sophie Jabès
Mise en scène de Marie Montegani

Camille, Camille, Camille… Comme Camille Claudel, sculptrice de génie, artiste torturée de la fin du 19ème siècle.  Camille Claudel, c’est aussi une femme, une vraie, qui réclame liberté et reconnaissance. Si Camille Claudel est restée jusqu’à aujourd’hui célèbre pour son œuvre, elle est aussi connue pour le mythe qui l’enferme : internée de force dans un asile par sa famille, Camille Claudel passera son temps à attendre que quelqu’un vienne la chercher, en vain.


Dans Camille, Camille, Camille, on plonge au cœur même de ce mythe : trois Camille, trois événements importants de la vie de Camille Claudel, trois voix aussi, qui nous racontent, tour à tour, quelles ont pu être les décisions, les hésitations, et les blessures de Camille Claudel. Le texte de Sophie Jabès a voulu se concentrer sur un élément en particulier qui aurait bouleversé le destin de Camille Claudel, et à plusieurs échelles : le rôle de Rodin. Si les trois âges représentés sur scène (la jeunesse, la maturité, et la vieillesse) nous sont tout de suite évidents, le rôle que Rodin y joue l’est également. La première Camille, jeune et naïve, sûre d’elle et impudente, est face à un choix qui semble décider du reste de sa vie. A l’époque où elle est l’élève de Rodin, elle en est aussi terriblement amoureuse, mais elle hésite : faut-il se donner à Rodin, toute entière, ou concentrer chacune de ses pensées dans son talent ? La deuxième Camille, plus tiraillée encore, est emplie d’une haine sans nom pour ce Rodin, qui l’a trahie, s’est servi d’elle, l’a abandonnée. Enfin, la troisième Camille a définitivement renoncé : enfermée et seule, le spectateur décèle en elle une forme de folie, ou d’irréalité. Ni ici, ni ailleurs, la Camille au seuil de sa mort pense à Rodin, le maudit. Elle attend Paul, le frère aimé : « Paul a dit qu’il viendrait », ne cesse-t-elle de répéter.
Et puis vient le moment dans la pièce, où ses trois femmes se rencontrent. La plus vieille devient alors « celle qui sait », tandis que les deux autres sont là pour lui demander conseil sur la décision à prendre : elles s’entendent dire toutes les deux que la solution la plus sûre, pour une Camille exténuée de vivre et d’attendre peut-être, est de partir, de quitter Rodin. Mais le passé restant le passé, ou le destin étant inévitable, aucune n’écoutera, et le mythe de Camille reprend sa forme réelle.


Dans cette pièce, beaucoup de poésie dans le texte, beaucoup de symboles également. La mise en scène de Marie Montegani est sobre, sans artifice. L’ambiance théâtrale a su plaire aux amateurs de théâtre traditionnel, sans micro : juste une scène, quelques éléments de décors, et trois comédiennes assez convaincantes dans leur facette respective du personnage de Camille Claudel. Pourtant, la modernité, sans envahir tout l’espace, est présente : un écran, dans le fond de la scène, fait apparaître à deux ou trois reprises l’image en noir et blanc d’une petite fille. Complètement en dehors de l’histoire réelle de la pièce, cette petite fille assez dérangeante joue le rôle du messager, annonceur de la mort du père de Camille, ainsi que de la propre mort de Camille Claudel, à la fin de la pièce, à laquelle Camille répondra que c’est plutôt « une très bonne nouvelle ».

L’artiste Camille Claudel, sculptrice, est un peu effacée, dans Camille, Camille, Camille, au profit de la femme, et son histoire avec Rodin. Mais son art est tout de même évoqué, comme quelque chose de brûlant, de vivant même. Si nous savons que Camille Claudel aurait voulu être un homme, elle n’en est pas moins une femme entière, orgueilleuse et ambitieuse, et c’est cette image là que l’on préfère garder d’elle, dédramatisant ce tragique enfermement qui a interrompu sa vie, interrompu son art.  La pièce se termine par l’énumération de ses œuvres : La Valse, Sakuntala, L’âge mûr… autant d’œuvres qui font le génie et la puissance de Camille Claudel. Heureuse de bientôt retrouver son frère Paul, Camille Claudel semble libre, lorsqu’à l’heure de sa mort, pensant à son art sans doute, elle dit : « Et dire que c’est moi qui ai fait tout ça ».

(Emilie Ch.)