vendredi 27 mars 2015

REGARDS CROISÉS, IMPRESSIONS DÉCOUSUES

Alain Blottière chez les ActuaLiseurs...

Nous avons eu l’honneur de recevoir aux ActuaLiseurs, mercredi 4 mars, Alain Blottière, écrivain du fameux Tombeau de Tommy et, plus récemment, de Rêveurs, roman pour lequel nous lui avions demandé de venir. Voici l'article commun que nous avons écrit, pour garder mémoire de ce très beau moment...



Après avoir échangé quelques regards autour d’une table garnie de boissons chaudes et petits gâteaux, l’écrivain a répondu à nos questions, expliqué sa méthode de travail.

Il voyage souvent et possède désormais un pied à terre en Egypte, où il aime se rendre plusieurs fois dans l’année. L’Egypte, comme une terre d’accueil à laquelle il revient souvent dans ses livres. Rêveurs en témoigne, qui croise les deux destins d’adolescents d’aujourd’hui que tout sépare, hormis cette capacité de rêver à un autre monde que celui qui les entoure.

Un personnage venu du réel
Pour son personnage de Goma, il s’est inspiré d’un véritable enfant qu’il a rencontré là-bas, il y a très longtemps. « Goma existe, il a maintenant une trentaine d’années, des enfants. Il vit toujours dans son quartier de Dar el-Salam ». Silence. D’un coup, nous imaginons le personnage sorti du livre, grandissant dans la réalité, vivant une vie d’homme en chair et os. C’est étrange, ce pouvoir de la littérature : pour nous, Goma sera irrémédiablement d’abord un personnage de papier. Savoir qu’il est en fait un exilé du monde réel auquel Blottière a façonné, dans son roman, une terre d’asile où caler son enfance pétrie de rêves et de luttes, c’est un réveil soudain dans la réalité concrète d’un écrivain. En phase avec ce qui l’entoure, Alain Blottière colle au réel, le transforme comme une matière à écrire. On est surpris. Ravis, comme d’avoir reçu une  confidence, un secret de fabrication qui nous rapproche encore plus de celui des personnages qui nous a tous émus.

Un écrivain lucide et sensible
Certains auteurs sont inconnus du grand public, pourtant un grand trésor se terre dans leurs œuvres. Une histoire, quand elle vous entraine tout en vous faisant regarder autrement le monde réel, ça n’a pas de prix. Alain Blottière est un écrivain lucide et sensible. Le réel, comme point de départ, l’entraîne vers deux destinées a priori antinomiques. Mais dans Rêveurs, il ne tombe pas dans l’auto-flagellation à l’européenne, avec sa fascination pour l’exotisme, son goût pour un Orient sacralisé, qui serait symbole d’une « humanité vraie ». Non, pas de procès, juste des constats traduits dans une prose accessible et pourtant très littéraire. Comme quoi.

Alain Blottière nous confie des anecdotes, sa façon simple d’écrire. On tombe des nues. A nous, élèves de première et terminale engraissés au mode opératoire obsessionnel d’un Flaubert estampillé bon pour le programme, il confie très simplement l’impensable : « je me relis peu, j’ai cette chance de ne pas trop raturer. J’écris vers l’écrit, sans faire de plan, je suis la musique, qui m’accompagne souvent ». Il avance à coup d’intuition, après avoir fait tout de même un travail de recherche poussé. Du coup, certaines scènes se révèlent à lui, après les avoir écrites. La transition en longue phrase à double face, façon ruban de Möbius, par exemple, elle lui est venue sans préméditation, comme ça.

Alain Blottière écrit avec son cœur et son corps. Il accompagne ses personnages par l’intérieur, sans tomber dans la psychologie asséchante. Il peut rester des mois, voire des années sans écrire, et saisit le moment où l’impulsion revient. L’influence de la réalité, le souvenir de petites scènes de vie, la trace de personnes vraies, le travail d’enquête, l’écrivain mêle tout cela, c’est un être de patience et de minutie, qui fait confiance aux signes qui, alors que la mécanique de création se met en branle, lui montrent qu’il est sur le chemin et qu’il ne s’égare pas.

"On n'oublie pas ses personnages".
Il laisse sortir de sa mémoire tous les livres qu’il fait sur commande, ceux qu’il fait pour vivre, puisqu’il est entendu que peu d’écrivains peuvent se nourrir rien que par le produit de leurs œuvres. Ceux-là, de livres, il les fait avec soin, mais les oublie très vite. Mais les siens, ceux qu’il écrit parce qu’une impulsion l’a poussé à les mener à bien, autour de personnages précis, il les garde en lui. Il reconnaît que, quand du temps a passé comme c’est le cas pour Rêveurs qu’il a écrit il y a trois ans déjà, il lui faut un petit effort pour pouvoir en parler, pour retrouver le cheminement du moment de son écriture. « Je l’ai relu dans le train qui me menait à vous ». Et l’on s’est étonné de ne voir dépasser aucun livre des poches de son grand manteau noir. Un écrivain, c’est un peu magique.



Il ressemble à ces écrivains silencieux, dont on s’accorde à dire que la simplicité est une grande part de leur talent. Dans Rêveurs, l’écriture se faufile d’un univers à un autre, aussi facilement qu’on tourne une page.

Un homme, un écrivain entre deux rives.
Sensible, évadé, sincère, Alain Blottière ressemble à son livre. D’ailleurs il partage son temps entre Paris et le Caire, comme dans Rêveurs. Il sait déplier les contrastes entre ces deux mondes, montre du doigt le fossé qui les sépare et plus encore, les fait se rencontrer. Goma est le double d’un enfant des rues qui a réellement existé, qui est grand maintenant, tandis que Nathan est un puzzle de plusieurs personnes. Leur rencontre, c’est l’imaginaire qui se mêle au réel et forme un tableau bluffant, comme cette phrase qui n’en fait qu’une et enjambe l’espace pour faire se rejoindre les deux univers : commencé du point de vue de Goma, elle se poursuit avec naturel dans le monde de Nathan et inversement. La première fois qu’on lit ces passages, on est impressionné. Après, on saisit le rôle de miroir qu’elle incarne, et le thème du double qu’elle renforce au sein du roman.

L’homme s’est dévoilé, mais pas trop. Naturellement, il a déroulé le fil de sa pratique. Ce mercredi 4 mars, il y avait l’homme et l’écrivain. Nous l’écoutions parler sans fausse pudeur, avec une simplicité réconfortante d’une voix chaude, posée. Ecrire, c’est un mélange d’intuition libre et de travail très précis. Une façon de ne jamais quitter le monde réel tout en optant pour sa marge – de là, on peut mieux voir. Et donner à voir. 

Alors pour le remercier, nous lui avons offert deux lectures de son roman : une à voix nue, menée par Emilie Ch.,  une autre par Elsa C., accompagnée par la musique de Louis. 

Merci à eux, Merci à M. Blottière. Voici sa page  Facebook, pour lire des avis de lecture, découvrir sa façon de nous faire voyager à travers des vidéos du monde et... écouter un aperçu de cette fin pleine de rêves, le 4 mars dernier : la page d'Alain Blottière

Alain Blottière, Le Tombeau de Tommy, éditions Gallimard (2009), collection folio (2011) - Rêveurs, éditions Gallimard (2012) - 
Alain Blottière et Denis Dailleux, Fils de roi, Portraits d'Egypte, éditions Gallimard (2008)

(Le groupe des ActuaLiseurs.)



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